C’est en 1976, qu’Emmanuelle SELIMOGLU affronte pour la première fois, l’espace de la toile.
Elle essaie de traduire, ou plutôt de trans-écrire, le contenu poétique d’une attitude ou de l’expression d’un geste, d’une réalité à portée de regard : péniches à quai, animaux du zoo…, images parisiennes de ses années d’études à l’Ecole des Beaux-Arts.
L’acrylique qu’elle choisit pour restituer ces impressions deviendra ainsi son unique médium.
Matériau moins contraignant que la peinture à l’huile, il lui permet de travailler plus rapidement et donc, de domestiquer plus facilement les superpositions de peinture qui caractérisent sa perception.
Un séjour près de Carcassonne, puis en Espagne, lui fait découvrir le Sud, la Méditerranée, une autre architecture, une autre lumière.
Elle tombe alors sous le charme d’un coin de jardin à l’abandon, s’émerveille d’un linge à l’étendage qui piège le soleil et s’interroge sur le pouvoir de fascination de ces spectacles si familiers.
Profitant toujours des propriétés de l’acrylique, elle s’efforce de retenir et de rendre par couleurs interposées et entrelacées, la magie de ces atmosphères.
Ses œuvres la laissent cependant insatisfaite : malgré une charge émotionnelle sous-jacente tangible, elles ne lui semblent pas rendre “l’essentiel des choses”.
Réprouvant une impression de séduction facile qui lui paraît caractériser son travail et le faire sombrer dans l’anecdote elle abandonne pour un temps la peinture et s’engage dans une longue période d’introspection.
Le passage -très étroit- du rêve à la réalité, s’effectue, non par l’évocation du passé, mais par la prise de conscience de l’omniprésence de la violence dans la vie même.
Sa thématique se concentre alors sur des scènes de tournois ou de combats de boxe.
A cette période de révolte succède -calme après la tempête-, dans le silence de la réflexion, une période d’interrogations métaphysiques sur l’amour, le désir, la mort.
Les personnages qui hantent ses tableaux, ne sont pas définis en tant qu’homme ou femme, mais en tant qu’êtres et c’est, dans le contexte de la situation qu’ils subissent, qu’ils trouvent ou retrouvent leur fonction et par la-même, leur humanité.
Elle convie “le regardeur” à la suivre dans ses errances, l’initie à l’ambiguïté du voir, l’oblige, comme le disait Cartier-Bresson, “à avoir un regard qui pèse, enfin qui interroge”, le fait constamment osciller entre le souvenir diffus de la réalité et la réalité présente, pesante, obsédante.
En 1984, elle découvre la Turquie : elle s’y reconnaît, s’y sent chez elle.
Encore empreints de rêve, les tableaux qu’elle réalise à cette époque intègrent désormais des parcelles de réalité, discrètes ou affirmées, imprégnées de l’atmosphère d’Istanbul.
Après une rupture due à des circonstances familiales, Emmanuelle Selimoglu revient à la peinture (comment aurait-elle pu y renoncer ?).
C’est maintenant Istanbul même, Istanbul et ses beautés, Istanbul et ses paradoxes, ses contradictions, Istanbul et sa vie quotidienne animée…, qu’elle redécouvre et qui sera désormais l’objet unique de ses observations, de sa jubilation.
Elle s’attaque à la Ville, se l’appropriera dans ses couleurs et dans ses formes pour nous l’apprendre.
Tantôt témoin, tantôt pris à témoin, Emmanuelle Selimoglu nous implique dans sa peinture et nous oblige ainsi à voir ce qu’elle voit en nous plaçant selon sa volonté, à l’intérieur ou à l’extérieur du paysage pictural.
Pour rendre la réalité plus consistante encore, donner de l’importance “au presque rien”, à l’insignifiant, à l’anodin, et par là, avouer son acceptation du prosaïque quotidien, elle n’hésite pas à inclure des papiers froissés (manifestation d’un pseudo-relief plastique), à juxtaposer images peintes/images photographiées, à laisser subsister des impressions de dentelle…
Dans ses tableaux les plus réalistes, mais le sont-ils ?, Emmanuelle Selimoglu montre son inclination pour le jeu triangulaire qui s’exerce entre la matérialité de l’objet, la part de fabulation de l’artiste et les exigences de la peinture.
Mais peut-être qu’Emmanuelle Selimoglu nous murmure tout simplement : “silence, regardez”!
-Alain et Paul Bisson, artistes peintres